Légende du Pays Basque : Le Tartalo et les deux soldats (Version d'Aussurucq)

Tartalo est un personnage des plus inquiétants et énigmatiques de la mythologie basque et un cyclope aux mœurs barbares, foncièrement cruel, violent, anthropophage, qui se délecte de la chair des Chrétiens. C'est le nom le plus connu actuellement, mais il s'est appelé, selon les époques et les lieux, TortoTartaroAnxoou Antxo. On le trouve aussi la forme Tartare (Cerquand).

Deux soldats du même village, libérés du service, regagnaient gaiement leurs foyers. La nuit les surprit dans une vaste forêt. Mais comme ils avaient aperçu au loin de la fumée, ils se dirigèrent de ce côté et arrivèrent enfin à une chaumière. Ils heurtent à la porte et une voix de dedans s'écrie : « Qui est là ? Deux amis, disent les soldats. Que désirez-vous?  Le logement pour cette nuit. » Le maître ouvre la porte et, les soldats étant entrés, la referme aussitôt.


Or le maître était un Tartare, ayant la forme humaine, mais tout le corps velu, avec un seul œil au milieu du front. Les deux soldats, quoique braves, furent saisis d'effroi à sa vue.


Le Tartare les fait souper, les pèse l'un après l'autre et dit : « Toi, le. plus léger, pour demain ; toi, le plus lourd, pour ce soir. » Aussitôt, prenant une grande broche, il en perce celui-ci de part en part, sans enlever les habits, le trousse comme un poulet, le rôtit devant un grand feu et le mange. Lorsqu'il est rassasié, il s'endort profondément.


Le soldat survivant, malgré son horreur et son effroi, s'ingénie pour sauver sa vie. Après avoir bien réfléchi, il saisit la grande broche, la fait rougir au feu, et, de la pointe, crève l'œil du Tartare. Le Tartare se lève en poussant des cris effroyables et cherche, à saisir le soldat qui se cacha heureusement parmi des moutons qui reposaient dans la bergerie.


Le lendemain, le Tartare ouvre sa porte, s'y place debout, les jambes écartées, et fait sortir un à un tous ses moutons; en les tâtant soigneusement sur le dos. Mais le soldat avait pris ses précautions. Il avait écorché un mouton pendant la nuit et s'était revêtu de la peau. Comme il se glissait entre les jambes du Tartare, celui-ci saisit la peau qui lui resta entre les mains.


Le soldat s'échappe et s'éloigne en courant. Le Tartare le poursuit en trébuchant et désirant l'arrêter lui crie : « Tiens cette bague, afin que tu puisses, raconter avec preuves tes prouesses », et il jette la bague. Le soldat la ramasse et la passe à son doigt : « Je suis ici, je suis ici » criait la bague. Le Tartare, suivant la voix, talonnait le soldat qui courait de toutes ses forces. il allait l'atteindre lorsque le soldat, après avoir essayé en vain de retirer la bague de son doigt, prit le parti de se le couper et de le jeter à l'eau avec la bague. « Je suis ici ! je suis ici ! » criait toujours la bague.


Le Tartare, suivant toujours la voix, se jeta dans l'eau et se noya.


Quant au soldat, il passa sur un pont-voisin, et fut bien aise de rentrer à la maison.


Conte extrait du recueil Légendes et récits populaire du Pays basque de Jean-François Cerquand.


L'origine du nom de Tartaro et de ses variantes est inconnue. S'il est resté spécifique à la tradition basque, il n'est pas certain qu'il soit d'origine basque, et il a probablement dépassé les limites géographiques actuelles de cette zone. Un personnage appelé Tartari était attesté au-delà de la Gascogne, rive droite de la Garonne, dans l'Agenais : il s'agit toujours d'un ogre ou d'un personnage maléfique. Un dicton disait « méchant comme Tartari ».

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